Séjour à Batié, janvier-février 2016
12/03/2016
Les attentats du 15 janvier à Ouagadougou ont fait poser la question à beaucoup de savoir si nous partirions ou pas. Pour nous, il n’était pas question d’annuler
ou reporter ce voyage : il y avait trop longtemps qu’on en rêvait, qu’on le préparait, pour renoncer et puis à Batié, ils nous attendaient, il suffisait de limiter nos déplacements.
Cela a créé quelques petits dérangements mais rien, en fait, qui nous ait contrarié. Au contraire, le bilan positif de ce voyage, les rencontres, la vie menée pendant ces trois semaines, les filles, la vie paroissiale nous disent que nous avons drôlement bien fait de partir.
Même le lundi passé à Ouagadougou qui nous permet de régler les différentes démarches administratives, d’aller au village artisanal, s’est vécu sans la moindre appréhension tout à la joie de retrouver Jacques, le vicaire de Batié et ami.
Une journée de route plus tard – route impeccable ou presque, financée par la communauté européenne – nous conduit à Gaoua où Albert, nouveau curé de Batié mais pas inconnu car nous avions eu la joie de le rencontrer lors de notre dernier voyage, tient à nous saluer et nous souhaiter la bienvenue avant qu’il puisse regagner Batié. Comme nous aimerions rencontrer souvent ce sens de l’accueil qui habite chaque burkinabé !
A partir de là, le goudron reste un mythe et depuis l’an passé nous constatons à quel point la piste de latérite s’est détériorée – il nous fallait 1 heure l’an passé pour arriver à Batié, il en faut maintenant 1 heure 30 en occupant la piste sur toute la largeur pour éviter au mieux les nombreux trous sans oublier les cochons, les chèvres, les vélos et les enfants. Albert et Jacques qui la pratiquent régulièrement semblent avoir enregistré toutes les défaillances de la piste et malgré le confort du pick-up et l’adresse de nos chauffeurs cela reste une épreuve et quand le panneau « Batié » apparaît c’est un ouf de soulagement.
Au presbytère, Frédéric, le président du foyer, Marcelline, la responsable, Philomène, la cuisinière du presbytère et Gaétan, séminariste, nous attendent pour nous offrir le verre du voyageur. A ce rite solennel, s’ajoute la joie des retrouvailles !
Les filles du foyer :
Bien sur, nous aurons hâte d’aller retrouver les filles. Pour la première rencontre Jacques nous y conduira en pick-up mais ensuite nous irons la plupart du temps à pied. Il faut 35 à 40 mn du presbytère. A partir de 16 h 30, il fait une chaleur supportable. Avant c’est plus éprouvant mais si les filles sont au bout du chemin la chaleur se fait moins insupportable !
Pour cette première rencontre, les filles ont sorti une table et des chaises dans la cour installées de façon très protocolaire : 2 chaises pour nous derrière la table et les autres en arc de cercle en face, rien qui ne facilite la discussion. Nous déplaçons nos chaises devant la table et rapidement Bernard et Jacques s’éclipsent et s’il ne faisait pas si chaud, nous dirions : « la glace est rompue ! »
Mais il y a de ça et le fait que nous soyons déjà venus l’an dernier fait que tout se met en place comme s’il n’y avait pas eu interruption dans les relations. Il y a bien les 3 nouvelles arrivées cette année mais elles sont vite à l’aise.
Les filles ont grandi, elles vont bien. Elles sont belles !
Clarisse a laissé sa place de responsable à Ingrid en disant très justement qu’il faut que ça tourne et qu’on ne peut pas attendre qu’une troisième parte pour se poser la question de son remplacement pour la responsabilité.
Comme le lendemain a lieu une réunion avec les membres du comité, je leur demande ce qu’elles souhaitent que je fasse remonter en leur nom à cette réunion. L’année dernière, elles n’avaient rien à demander. Cette année, elles y ont réfléchi et me font des demandes étayées :
- Un portail pour clore le mur qui ceint les dortoirs et les sanitaires pour se sentir plus en sécurité la nuit.
- Une partie cimentée devant les dortoirs pour pouvoir y travailler en saison sèche et être « au sec » en saison des pluies. Elles ont planté un arbre qu’elles bichonnent pour avoir aussi de l’ombre.
- Une photo un peu grande, chaque année avec toutes les filles à afficher dans la salle d’études pour faire mémoire.
- Le soutien scolaire pour les 3° en maths et français étendu à tous les niveaux.
Elles demandent aussi à ne plus être tondues à chaque rentrée scolaire pour pouvoir se tresser, mais après discussion avec Marcelline, nous apprenons que c’est une demande gouvernementale afin que les filles ne se tressent pas pendant les cours. Surement une sage mesure ! Et puis en février, les cheveux ont déjà suffisamment poussé pour se permettre quelques petites fantaisies !
Autres faits qui nous ravissent, c’est que si elles attendent qu’on les soutienne dans leur devoir en maths et en français, qu’on leur apprenne à faire quelque chose de créatif comme les bracelets brésiliens de l’an passé, elles ont des choses à proposer : un cours de cuisine, comment faire une maison traditionnelle et qu’on prenne un repas avec elles après le cours de cuisine. Cela nous convient tout à fait !
Nous avons rencontré une partie des lycéennes, les autres étant encore en cours. Les terminales sont en section L et souhaitent continuer après le bac. Les secondes sont ravies d’être au lycée. Peut-être Djersan ira en section scientifique car elle a de bons résultats. Les mathématiques restent vraiment la bête noire pour tous les lycéens. Les Burkinabés ne sont pas, nous semble-t-il, très cartésiens mais beaucoup plus à l’aise dans toutes les matières littéraires.
L’enseignement au Burkina :
Nous ne ferons que vous faire partager ce que nous avons vécu :
Le mardi de notre arrivée : le gouvernement annonce de nouveaux horaires scolaires pour … le lendemain. Bien sûr cela entraine beaucoup de remous : comment peut-on du jour au lendemain et en milieu d’année scolaire mettre en place une telle mesure ? Certaines écoles l’appliqueront dès le lendemain. Les écoles privées refuseront.
Pendant notre séjour, Frédéric qui est gestionnaire d’un collège en plus de ses fonctions et aussi principal en attendant une nomination est affronté au corps enseignant : le salaire de janvier n’a pas été versé : manifestation, droit de retrait. Frédéric pense que oui, le salaire sera versé mais quand ?
L’année universitaire n’a pas encore commencé quand nous repartons : problème budgétaire, mise en place du nouveau gouvernement ?
Comme c’est un problème assez récurrent, beaucoup de lycéens renoncent à des études supérieures et vont travailler pour aider leurs familles.
Bernard fait des maths avec Delphine. Elle a à faire les exercices 1, 3, 4 et 5 de la page 52. Oui mais son livre ne commence qu’à la page 56 !
Les lycéens n’ont pas de dictionnaires pour travailler : français, allemand et anglais, aussi nous faisons appel à vous pour nous en procurer si vous avez des dictionnaires, chez vous, que vous n’utilisez plus. Un dictionnaire coûte environs 25 000 francs CFA soit 38 €. Bien trop cher pour la plupart des familles. Nous nous sommes engagés à en mettre un maximum dans le prochain container qui partira. Nous avons besoin de vous !
Cours de cuisine :
Je m’y étais engagée, j’ai été une élève appliquée et ai du passer aux travaux pratiques. Pendant ce temps Bernard a réparé les fils électriques des lampes solaires.
Beignets à la farine de haricots :
J’étais un peu inquiète car la farine de haricots nécessite de faire gonfler les haricots puis de les moudre deux fois, Marcelline était absente, Frédéric disait qu’il fallait plusieurs jours pour la faire… Mais connivence entre Marcelline et les filles, dévouement de Marcelline, le jour J, Marcelline m’apportait de bon matin la farine nécessaire et qu’elle avait pilée elle-même.
J’avais acheté un litre d’huile et une grosse boite de lait concentré sucré et avais parait-il tous les ingrédients pour passer à l’acte.
Les filles sont pros en la matière : on mélange la farine avec de l’eau et on brasse avec une énergie dont j’ai eu du mal à trouver le rythme, il valait mieux laisser faire les filles.
L’huile chauffe et quand elle est à bonne température, on dépose d’un coup de main, la pâte qui forme de belles boules. Passant à l’acte, je n’ai fait que des espèces de vermicelles, ce qui les a beaucoup amusées.
Deuxième recette
Les toffees :
Faire cuire le contenu d’une boite de lait concentré jusqu’à une consistance et une couleur appropriée. Mettre dans un plat bien huilé ainsi que la cuillère qui va servir à séparer la pâte et faire rapidement des boules avant que la préparation ne refroidisse.
Repas partagé :
Nous avions insisté pour manger avec les filles le repas habituel, c'est-à-dire tô, nous aurions préféré que ce soit avec une sauce aux herbes ou sauce arachide mais c’était sauce gombos c'est-à-dire une sauce gluante qu’on ne préfère pas avoir trop souvent à table.
Nous avions proposé vache qui rit ou sardines pour agrémenter l’ordinaire mais unanimement les filles préféraient les sardines. Nous avons donc acheté en chemin sardines et baguettes de pains.
Si Marie Madeleine, la cuisinière a préparé le tô, les filles sont autonomes pour les sandwiches de sardines
Les filles ont bon appétit mais il faut dire que le repas de midi est le premier de la journée.
Pour le dessert, plat inexistant dans un repas burkinabé traditionnel, les toffees ont circulé de l’une à l’autre. Le taux de sucre étant important, un nous a suffi. Marcelline a suggéré d’en garder pour le soir ou le lendemain mais les filles ont tenu à tout partager, mangeant au fur à mesure ou faisant une provision personnelle.
Mercredi jour de marché :
Dès la nuit qui précède, on entend le bruit des camions qui viennent du Ghana ou de la Côte d’Ivoire. C’est sûr que toutes ces femmes qui viennent à pied soit pour vendre ou acheter et marchent pendant des heures sur les différents chemins, souvent chargées sont plus silencieuses !
Il ne faut pas aller trop tôt au marché afin que tous soient arrivés. Nous choisissons l’option d’y aller plusieurs fois. Le matin : tout le monde n’est pas encore arrivé mais il fait encore bon, nous y repartons en fin de matinée quand le marché est le plus animé et où on a peine à avancer dans les allées étroites où les effluves des différents stands de cuisine se mélangent et, dans l’après-midi avec Gaétan comme guide qui nous désigne tous ces sacs de substances étrangères et que lui peu nommer : poudre de feuilles ou de fruits de Baobab, gombos séchés, soumbala, boule de savon artisanal, graine de mil, maïs blanc … . Il y a bien sur aussi des choses qui nous sont moins étrangères : aubergines, tomates, salades, haricots verts, poulets, articles de droguerie, tongs et articles un peu surprenant pour nous : médicaments en tous genre sortis des emballages,
Lorsqu’il fait nuit, chacun a repris le chemin du retour et ne restent sur place que les vendeurs ou les buveurs de dolo, bière locale de mil.
Le soumbala :
Intrigués par ces boules de graines vendues au marché, nous nous sommes renseignés sur leur origine, leur fabrication et leur utilisation et avons eu droit à toute leur réalisation. Le soumbala est à la sauce du tô, ce qu’est le bouquet garni au pot au feu, c'est-à-dire un condiment indispensable qui pourrait être remplacé par un cube Maggi par certains mais qui entraîne un tôlé général chez d’autres, voire un refus de gouter une sauce sans soumbala.
Il faut trois jours pour le réaliser, et ne pas oublier toutes ses vertus médicinales et en particulier le combat contre l’hypertension.
A la saison des pluies, on récolte les gousses du Néré, grand arbre de l’Afrique de l’Ouest dont on récupère les graines (la pulpe contient une substance qui est utilisé en traitement de la fièvre jaune).
Les graines sont mises à bouillir pendant 24 h afin de les ramollir et de pouvoir enlever la peau puis on les laisse fermenter avant d’en faire ces boules qui seront pilées pour les différentes sauces. C’est vrai que l’odeur est un peu forte mais il donne un fumet incomparable au plat qui en contient.
La vie paroissiale et le jumelage :
Albert en est le curé depuis septembre et natif de Batié, il est bien intégré à toute la vie paroissiale et communale. Jacques est son vicaire et un séminariste est là pour l’année : Gaétan.
La paroisse étant immense, des catéchistes sont formés et prennent en charge la gestion d’un lieu en zone.
Nous avons trouvé une paroisse dynamique, prête à nous rencontrer, nous toubabous (blancs) qui semblons toujours venus d’un autre monde, ce qui n’est pas faux dans la réalité locale. Nous avons été associés à toutes les rencontres, manifestations qui se sont déroulées pendant notre séjour avec cette volonté que ce qui nous unit soit pérenne, l’affaire de tous et se vive dans une fraternité qui n’est pas un vain mot.